Pour la majorité des gens, le mot « accessibilité » rime avec « adaptations », soit le fait de « rendre accessible ». En général, la notion d’accessibilité est également liée à celle de handicap. On dira alors qu’à tel type de handicap est lié tel type d’adaptation : une rampe pour les fauteuils roulants, de gros caractères pour la déficience visuelle, un texte simple pour la déficience intellectuelle, etc. Si vous faites partie du réseau de soutien aux personnes en situation de handicap, vous connaissez déjà bien les types d’adaptation requis pour vos clients. Toutefois, cela est le cas en ce qui concerne les gens qui arrivent jusqu’à vous ou à votre organisme. Mais est-ce que toutes les personnes qui auraient besoin de services se rendent effectivement jusqu’à vous?
En fait que se passe-t-il depuis quelques années avec la notion de handicap? Avec l’avènement des médias sociaux et comme plusieurs groupes dits « minoritaires » (LGBTQ2, diversité culturelle, etc.), les personnes en situation de handicap ont de plus en plus la possibilité de se faire entendre, de se faire connaître, de démystifier leur condition et de participer à la modification des représentations sociales liées aux notions de « normalité » et d’« anormalité ». Les gens ne désirent plus (l’ont-ils déjà désiré?) être étiquetés, catégorisés par rapport à ce qui est considéré comme un handicap, mais bien être reconnus comme faisant partie d’un grand tout, ou de ce que l’on pourrait simplement appeler la grande diversité humaine. Résultat : plus une situation jadis jugée socialement « anormale » verse dans la « normalité », moins elle devient taboue, et plus de gens osent s’y identifier ouvertement. On le constate actuellement avec tous les mouvements liés à la santé mentale, au trouble déficitaire de l’attention (TDA), etc., à travers lesquels beaucoup de gens ont décidé de parler publiquement de leur situation.
Mais est-ce que ces gens, qui désormais se sentent libres de parler de ce qu’ils vivent, se considèrent nécessairement comme vivant avec un handicap? Il y a de grandes chances que non. Cela pourrait en effet sembler un non-sens que d’enfin profiter de cette vague de solidarité dans l’égalité pour se libérer… et aller ensuite s’étiqueter comme personne handicapée, avec tout ce que cette notion comporte de représentations sociales : « difficultés », « barrières », « incapacité »… Pourtant, par exemple, dans le monde des services offerts aux personnes handicapées, il importe souvent de s’identifier comme vivant avec un handicap pour avoir accès à ceux-ci : dans un premier temps pour s’adresser au bon organisme, puis pour bénéficier de soutien. Une réalité qui pour l’instant permet d’offrir les meilleurs services, mais qui crée aussi elle-même un cercle vicieux car faisant perdurer une certaine catégorisation.
Nombre de personnes vivent avec diverses problématiques, soit qu’elles ignorent, soit qu’elles n’arrivent pas à identifier médicalement, etc. Qui plus est, vous connaissez des gens vivant avec un TDA? Avec un problème de santé mentale? Avec un trouble non diagnostiqué qui leur crée des défis? À votre avis, pourraient-ils se considérer comme des personnes handicapées? Nous devons soutenir convenablement tous ceux et celles qui en ont besoin, au-delà de l’accessibilité technique reliée au handicap. Pour être en phase avec les mouvements sociaux actuels, il importera désormais de penser, bien avant cela, à l’accès aux services, en gardant en tête la barrière que peut poser l’unique notion de « handicap ». Une réflexion que nous devrons tous faire sur ce que l’on pourrait, tiens, appeler la « pré-accessibilité ». Toutes les personnes qui ont besoin de soutien devraient effectivement avoir accès à des services, et toutes sur le même pied d’égalité. Et ce, sans avoir, par exemple, à se considérer en situation de handicap si elles ne désirent pas en porter l’étiquette.
Une collaboration de Nancy Moreau, directrice générale, SPHERE.
Crédits photo : Thinkstock