Photo: Martin Chamberland, La Presse

Source: Sophie Allard, La Presse, 24 mai 2016

Depuis trois semaines, Belle ne quitte plus Mélissa d’une semelle. Dès qu’elle note une accélération dans la respiration de sa partenaire ou qu’elle entend des soupirs soudains, elle intervient. Elle se colle doucement contre la jeune femme et l’incite à la flatter. Jusqu’à ce que le calme revienne.

Depuis l’enfance, Mélissa Duval-Demuy, 25 ans, souffre d’un trouble anxieux généralisé avec symptômes dépressifs. Malgré de nombreuses séances en psychothérapie et une médication à dose élevée, l’anxiété est toujours là, bien présente. « Parce que je suis toujours en état d’alerte, mon corps fonctionne à 200 % et je tombe malade continuellement. Mon système immunitaire est surmené et je souffre de fatigue chronique. »

La jeune femme sait que l’anxiété la suivra toute sa vie, mais elle souhaite en diminuer le fardeau. Elle a dû interrompre ses études universitaires en travail social. Elle a multiplié les boulots, incapable de les garder en raison de ses absences répétées. « Je veux simplement avoir une qualité de vie. » Elle a frappé à la porte de la petite entreprise Les chiens Togo, à Mont-Saint-Hilaire. Ç’a changé sa vie.

EN DÉMARRAGE

À la tête des chiens Togo, il y a Noémie Labbé-Roy, titulaire d’un baccalauréat en psychoéducation et éducatrice canine. « L’idée de combiner mes deux passions m’est venue durant mon congé de maternité. J’ai fait un plan d’affaires, je me suis lancée. »

La jeune maman s’est d’abord entourée d’une solide équipe et, depuis juillet 2015, elle a tour à tour accueilli, dans ses locaux au sous-sol, une douzaine de chiens abandonnés qu’elle a formés, tantôt pour assister des personnes avec des troubles psychologiques, tantôt pour aider des enfants avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

« C’était important pour moi de donner une seconde chance à des chiens de refuge, de leur donner l’occasion d’avoir une mission noble. »

— Noémie Labbé-Roy, directrice de l’entreprise Les chiens Togo

L’entreprise reçoit de plus en plus de demandes. Des offres de bénévolat aussi. « Je pèse sur le frein. On souhaite bien faire les choses, avoir des protocoles solides, avant de pousser la machine », dit Mme Labbé-Roy. Comme l’utilisation des chiens d’assistance psychologique est embryonnaire au Québec, elle admet que la démarche est en constante évolution. « Le processus est fait d’essais et d’erreurs, on tente d’épargner la personne qui vit déjà une difficulté. Notre approche est sérieuse, réfléchie », précise-t-elle.

La sélection des chiens en refuge n’est pas laissée au hasard. Un expert, ancien évaluateur de la SPCA Montréal, participe à l’évaluation poussée de chaque animal. Après avoir bien ciblé les besoins des bénéficiaires (ayant une ordonnance médicale), on procède au jumelage. « Jamais un chien n’est imposé aux bénéficiaires. Ils nous indiquent d’abord leurs préférences. La chimie opère souvent, mais pas tout le temps. »

Une fois le jumelage effectué, l’entraînement peut commencer. « Je procède à un entraînement de base, et selon le rapport d’évaluation et les besoins, j’entraîne des commandes précises, en privé et en public, indique Providence Godon, éducatrice canine et comportementaliste animale. Le chien peut être appelé à faire des points de pression, à poser son museau sur la cuisse, à se coucher contre son humain. »

Le résultat de tout ce travail n’est pas donné. Un chien comme Belle coûte 6000 $. « C’est 1000 $ par semaine d’entraînement », explique Mme Labbé-Roy. Ça changera sous peu, puisque Les chiens Togo deviendra sous peu une fondation. On pourra recueillir des dons permettant d’abaisser la facture finale et, éventuellement, offrir des chiens gratuitement.

Mélissa a reçu une subvention de Sphère Québec, un organisme en employabilité, qu’elle a combinée à un prêt. « Je n’aurais pas pu me le permettre autrement. C’est un investissement qui en vaut la peine », insiste-t-elle.

DES EFFETS AU QUOTIDIEN

Mélissa dort mieux en présence de Belle.

« Mon sommeil est moins fragmenté, mes crises durent moins longtemps la nuit. J’ai réduit ma nuit de 15 heures à 10 heures. »

— Mélissa Duval-Demuy

« J’ai enfin envie de me lever le matin. Belle me donne une routine que j’étais incapable de m’imposer, elle me “grounde” », dit-elle. Habituée des urgences, elle n’a pas visité l’hôpital depuis trois semaines, se réjouit-elle.

Mélissa espère maintenant obtenir un emploi qu’elle aime, où elle est reconnue pour ses compétences. Elle aimerait aussi réduire sa dose de médication, pour diminuer les effets secondaires et avoir un enfant. « Je sais que ce n’est pas un remède miracle, je veux juste être bien. »

Déjà, le lien entre Mélissa et Belle semble fort. « On offre une seconde chance à des chiens hors normes et à des humains, comme moi, aussi hors normes. C’est une relation gagnant-gagnant », dit-elle, en flattant sa nouvelle amie.