La pénurie de main-d’œuvre est probablement l’un des sujets de l’heure en matière d’emploi au Canada. Dans les dernières semaines, plusieurs articles ont été publiés sur la question. Certains vont même jusqu’à avancer certaines solutions.[i] Cette situation serait d’ailleurs intimement liée au renversement de la pyramide des âges et au vieillissement de la population. Le problème est d’ailleurs connu depuis plusieurs années. On s’y intéressait déjà au début des années 2000[ii], mais nous en sommes aujourd’hui à en constater les effets. Les baby-boomers partent à la retraite au point où certains vont même jusqu’à présenter la situation comme une « hécatombe démographique ».[iii]

Des postes vacants

Cette situation démographique a pour effet que plusieurs postes sont vacants, et ce, dans plusieurs provinces canadiennes. Gérald Fillion, journaliste économique à Radio-Canada, a extrait de Statistique Canada des données impressionnantes. Il y aurait au Canada 470 000 postes vacants et plus de 90 % de ces derniers seraient répartis dans quatre provinces canadiennes : l’Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l’Alberta.[iv] Ces postes vacants seraient le résultat de l’incapacité des employeurs à trouver des candidats en mesure de répondre à leurs attentes.

Une bonne nouvelle pour les chercheurs d’emploi

Cette nouvelle, décevante pour les entreprises de certains secteurs, semble permettre à un plus grand nombre de personnes d’occuper un emploi. En effet, le taux de chômage atteint des taux historiques. Il y a même une augmentation du taux d’activité des travailleurs de 55 ans et plus et des personnes immigrantes. Certains groupes demeurent cependant encore plus exclus que d’autres du marché du travail. Parmi ceux-ci, les personnes en situation de handicap sont celles qui semblent avoir le plus de difficultés à intégrer le marché du travail avec un taux d’activité de 44,6 %. À titre de comparaison, le taux d’activité pour les personnes sans handicap est de 80 % au Québec.[v] Il y a certains facteurs qui peuvent expliquer cet écart important entre les personnes sans handicap et celles en situation de handicap, mais l’exclusion est souvent liée aux perceptions des employeurs vis-à-vis la différence ou à l’environnement de travail partiellement ou complètement inadapté à la condition de la personne. Bref, il sera donc important de changer nos perceptions par rapport aux personnes en situation de handicap et de voir comment il est possible de penser nos milieux de travail pour favoriser l’inclusion de tous, peu importe les conditions individuelles.

La personne en situation de handicap, une partie de la solution et une plus-value dans une entreprise

Le handicap, qu’il soit le résultat d’une condition physique, mentale ou intellectuelle particulière, est bien souvent limité à certains types d’environnement ou à certaines tâches. Il est d’ailleurs étonnant de voir quels aménagements ou quelles stratégies, souvent simples, peuvent être mis en place pour pallier les situations de handicap. Être sensible à la situation particulière de la personne vivant avec une limitation permet d’être en mesure d’adapter la période d’intégration, les tâches et l’environnement de travail. Souvent, ça ne prend pas grand-chose : une période de formation un peu plus longue ou aménagée différemment, permettre des changements de façon de faire pour effectuer le travail, fournir de l’équipement adapté ou superviser un peu plus souvent, du moins au début, le travail de la personne.[vi] Pour y arriver, il sera peut-être nécessaire de collaborer avec le conseiller en emploi, l’ergothérapeute ou un autre professionnel ayant une connaissance approfondie de la situation de la personne.

Dans un contexte de travail adapté à leur situation, les personnes pourront réussir aussi bien et parfois même mieux qu’une personne sans limitations. Une personne en situation de handicap n’apporte pas qu’une force de travail, elle amène une perspective différente de celle d’une personne sans limitations.

En effet, en plus de leurs compétences, leurs perspectives uniques sur leur environnement est une grande richesse pour toute organisation. Le monde n’étant pas adapté à leur situation, elles vivent des expériences exclusives. Une personne en fauteuil roulant est la mieux placée pour voir dans quelle mesure les bâtiments, les trottoirs et les moyens de transport lui sont difficilement accessibles. Sur son lieu de travail, elle sera en mesure de se rendre compte des défis et des enjeux qu’un client dans la même situation pourrait vivre et pourra proposer des solutions et des aménagements pour faciliter son travail au quotidien et améliorer l’accessibilité pour les clients vivant une situation semblable à la sienne.

Le contexte de manque de main-d’œuvre est profitable pour les employés, car il leur donne la possibilité de changer facilement d’emploi. La fidélité au même employeur pendant 40 ans risque donc de devenir de plus en plus rare. Cela dit, selon l’Office des personnes handicapées du Québec, « embaucher une personne handicapée [permettrait de] compter sur un personnel stable », il est même possible que cette embauche augmente la loyauté des autres employés au sein de l’entreprise. Ce ne serait d’ailleurs pas le seul avantage, avoir une personne en situation de handicap dans son équipe contribuerait à créer un climat collaboratif.[vii] Il y a donc plusieurs avantages à choisir une personne handicapée pour enrichir son équipe.

Les professionnels du développement de carrière, un partenaire de choix pour l’employeur

Les professionnels du développement de carrière (conseillers en emploi, conseillers d’orientation et intervenants en employabilité) font un travail en amont en préparant les personnes qui ont plus de difficulté à intégrer le marché du travail. En travaillant sur leurs compétences (savoir, savoir-faire et savoir-être) et leurs intérêts pour faciliter leur intégration et leur maintien en emploi. Ils peuvent même contribuer à l’adaptation du poste de travail ou à l’aménagement des tâches pour que la personne en situation de handicap puisse donner son plein rendement.

La recherche de la perfection, un frein au recrutement

Ceci étant dit, malgré le travail des professionnels du développement de carrière, il demeure que les chercheurs d’emploi sont souvent confrontés à des offres d’emploi qui semblent cibler le « profil parfait ».[viii] Ces exigences élevées peuvent faire en sorte qu’un candidat intéressant pouvant être en situation de handicap risque de ne pas poser sa candidature par peur de ne pas avoir ce qu’il faut alors qu’il aurait probablement été un bon candidat pour le poste et pour l’employeur. À cela, il est possible d’ajouter les préjugés vis-à-vis des personnes en situation de handicap et des perceptions quant à sa capacité à faire le travail comme une personne sans handicap. Il serait probablement nécessaire d’aborder le recrutement et le travail autrement. En bref, l’employeur pourrait sélectionner une personne pour ses compétences et son potentiel sans s’attendre à ce que la personne maîtrise l’ensemble des compétences par l’employeur dès son entrée en fonction.[ix]

La collaboration comme moyen de surmonter les difficultés

L’inclusion des personnes vivant avec une limitation fonctionnelle permettrait certainement de résoudre une partie du problème de la pénurie de main-d’œuvre. Il suffit d’être créatif et de repenser, les façons de faire, les structures et les environnements de travail pour les adapter aux situations particulières et à la réalité de personnes qui se trouvent exclues du marché de l’emploi. Il n’y a pas qu’une seule solution à la pénurie de main-d’œuvre, mais l’inclusion des personnes vivant avec des limitations est certainement une partie de la solution. L’intégration de ce groupe de travailleurs et celle d’autres groupes exclus du marché du travail passent par la concertation de tous les acteurs du marché du travail : les chercheurs d’emploi, les employeurs, les professionnels du développement de carrière, etc. Autrement dit, c’est un peu vous et moi…

Pour des exemples de succès d’inclusion en emploi

CBC news (2014). Business owner makes money by hiring disabled workers, dans CBC News: The National, [en ligne], www.youtube.com/watch?v=CRHnlyJI0dg – Un propriétaire d’entreprise gagne de l’argent en embauchant des travailleurs handicapés.

Workforce planning board of York region (2017). Hiring a worker with a disability – Leah’s Story, dans WFPlanningBoard, [en ligne], www.youtube.com/watch?v=nkrsUcsp6X8 – Embaucher une personne handicapée – l’histoire de Leah

CAMO pour personnes handicapées (2016). Réussir sa vie professionnelle avec une perte de vision, [en ligne], www.youtube.com/watch?v=XTpkNjnU0p8

Pour aller plus loin 

Steve Paikin (2014). Mark Wafer: Enabling the disabled, dans The agenda with Steve Paikin, [en ligne], https://tvo.org/video/programs/the-agenda-with-steve-paikin/mark-wafer-enabling-the-disabled – Mark Wafer: Habileter les personnes handicapées.

Bradshaw, L. (2017). Disability vs the Workplace, [en ligne], www.youtube.com/watch?v=W3_RjJtd6Eo – Handicap vs milieu de travail.

Une collaboration de Marc-Olivier Beaulieu, secrétaire du conseil d’administration de l’Association québécoise des professionnels du développement de carrière et étudiant au baccalauréat en développement de carrière à l’UQAM

[i] Lavallée, H. (2018). Pénurie de main-d’œuvre au Québec : une « hécatombe démographique » en cause, Radio-Canada, [en ligne], https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1114740/demographie-etude-institut-economique-montreal-chute-baisse-quebecois-moins-45-ans (Page consultée le 20 juillet 2018).

[ii] A. McDaniel, S. (2003). Politiques sociales, changements économiques et démographiques et vieillissement de la population canadienne : leurs interactions. Cahier québécois de démographie, 32(1), 76-104.

[iii] Lavallée, H. (2018). Pénurie de main-d’œuvre au Québec : une « hécatombe démographique » en cause,  Radio-Canada, [en ligne], https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1114740/demographie-etude-institut-economique-montreal-chute-baisse-quebecois-moins-45-ans (Page consultée le 20 juillet 2018).

[iv] Fillion, G. (2018, 13 avril). On manque sérieusement de travailleur!, Radio-Canada, [en ligne], https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1094826/analyse-gerald-fillion-manque-travailleurs-canada-quebec-postes-vacants-immigrants (Page consultée le 24 juillet 2018).

[v] Homsy, M. (2018). Marché du travail : le Québec a fait des pas de géants, mais le travail est loin d’être terminé, Les Affaires, [en ligne],  www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/general/marche-du-travail–le-quebec-a-fait-des-pas-de-geants-mais-le-travail-est-loin-d-etre-termine/603287  (Page consultée le 24 juillet 2018).

[vi] CAMO pour personnes handicapées. (2016). Réussir sa vie professionnelle avec une perte de vision, [en ligne], www.youtube.com/watch?v=XTpkNjnU0p8 (Page consultée le 24 juillet 2018).

[vii] Office des personnes handicapées du Québec. (2004). Une personne handicapée; Un atout pour l’entreprise, [en ligne], https://ordrecrha.org/ressources/TBD/2004/07/Une-personne-handicapee-un-atout-pour-lentreprise (Page consultée le 25 juillet 2018).

[viii] Radio-Canada. (2018). Pénurie de main-d’œuvre, entrevue avec Josée Landry, émission Le 15-18., [en ligne], https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/le-15-18/episodes/407718/audio-fil-du-mardi-22-mai-2018/22  (Page consultée le 25 juillet 2018).

[ix] Desautel, G. (2018). La solution à la pénurie de main-d’œuvre passe par une stratégie de développement de compétences. Revue Gestion, [en ligne], www.revuegestion.ca/la-solution-a-la-penurie-de-main-d-oeuvre-passe-par-une-strategie-de-developpement-des-competencesutm_source=facebook&utm_medium=lickstats&utm_campaign=GD1807&utm_term=&utm_content=5b52313b0c521f1f2157f914 (Page consultée le 25 juillet 2018).

Photo : Thinkstock