En mars 2013, après 2 ans de recherche d’emploi, Julie Morissette défrayait les manchettes dans un article intitulé : « Malgré ses diplômes – Atteinte d’un léger handicap, elle ne trouve pas d’emploi ». Aujourd’hui, en dépit des conséquences physiques de sa maladie orpheline, l’ataxie de Charlevoix-Saguenay, Julie œuvre comme secrétaire au sein d’une entreprise qui a su dépasser les préjugés de la première impression. Une embauche qui fait de Louis Parent et Nadia Tremblay, copropriétaires d’Inspection Immotech, des employeurs maintenant convaincus de l’importance que revêt l’ouverture à la différence dans le processus de recrutement.
L’ataxie de Charlevoix-Saguenay est une maladie neuromusculaire dégénérative dite orpheline. Un individu sur 22 est porteur du gène responsable de la maladie dans ces deux régions et environ 200 personnes sont atteintes dans la région du Saguenay–Lac-St-Jean uniquement. Au Service externe de main-d’œuvre du Saguenay (SEMO Saguenay), un organisme d’aide à l’emploi pour personnes handicapées et personnes immigrantes qui a offert du soutien à Julie dans sa préparation, sa recherche, son adaptation et son maintien en emploi, on reçoit environ 5 cas par année d’individus touchés, sur près de 150 clients au total. « L’individu touché peut démontrer un manque d’équilibre, ou de la difficulté à prononcer des mots, par exemple en situation de stress. Difficile pour une première impression en entrevue! » explique Sophie Girard, directrice de la Corporation de recherche et d’action sur les maladies héréditaires (CORAMH). « Toutefois, la maladie n’affecte en aucun cas les capacités intellectuelles », souligne-t-elle. Pour Julie Morissette, cela fait en sorte que « le plus difficile, c’est de se sentir comme tout le monde à l’intérieur, mais que les employeurs ne le voient pas. Ça a pris plus de trois ans après la fin de mes études pour qu’un employeur comprenne tout mon potentiel ».
Avec l’adaptation nécessaire, les personnes en situation de handicap surprennent souvent leur employeur, car comme elles doivent faire face à plusieurs défis quotidiens, elles sont extrêmement résilientes et déterminées. Ce qui est d’ailleurs le cas de Julie. Pour Marie-Claude Gagné, conseillère en employabilité au SEMO Saguenay, « Julie, c’est le positivisme incarné. Toujours souriante, elle croyait en son potentiel et s’impliquait à fond dans les démarches sans baisser les bras, même si cela a été long. »
Comme l’ataxie occasionne de la difficulté à exécuter des mouvements précis comme ceux requis pour écrire, par exemple, il n’est pas difficile d’imaginer les défis qui se posent lorsque vient le temps d’être en emploi. Dans le cas de Julie, plus de temps doit entre autres être consacré à la frappe clavier ou à l’écriture manuscrite. Elle a donc droit à une compensation financière renouvelable pour le manque à gagner, ce qui lui permet de mettre tout son potentiel au profit de son employeur, tout en étant libérée de l’exigence de performer au même rythme qu’une personne non limitée, ce qui était handicapant pour elle.
« C’est là tout l’enjeu », fait valoir Yann Arseneault, agent de projets chez SPHERE-Québec, un organisme qui favorise l’intégration en emploi de personnes en situation de handicap par l’entremise du Fonds d’intégration des personnes handicapées du gouvernement du Canada. « Il faut cibler les situations qui peuvent être handicapantes et amener les employeurs à comprendre que si celles-ci sont éliminées, les employés vivant avec une limitation se retrouvent alors sur le même pied d’égalité que leurs collègues. Avec en plus quelques bonus. » De par leur parcours, ces employés sont en effet motivés et fidèles à l’employeur qui leur offrira la chance de se réaliser.
Et il y a plusieurs façons d’éliminer ces situations handicapantes. Parfois simples, parfois coûteuses, il faut savoir qu’il y a toujours un soutien qui est disponible pour les employeurs dans divers organismes, que ce soit pour trouver des solutions ou fournir le financement nécessaire. « Par exemple, les mesures de soutien financier pour les employeurs comme la subvention salariale de SPHERE-Québec pour la période charnière de l’intégration en emploi des premiers mois, ou les Contrats d’intégration au travail financés par Emploi-Québec pour le maintien en emploi à long terme, offerts via les services externes de main-d’œuvre, sont justement là pour ça : elles permettent de combler l’écart de productivité que pourraient occasionner les situations handicapantes en emploi par une compensation financière », ajoute Yann Arseneault. Du soutien financier est également disponible pour les employeurs pour l’adaptation des lieux de travail : « Une subvention de SPHERE-Québec a également permis à Inspection Immotech d’adapter les lieux de travail de Julie, pour qu’elle puisse y évoluer de façon autonome » explique l’agent de projets. « Tout est possible, cela ne se restreint pas aux subventions salariales ou pour l’adaptation. Il s’agit de bien évaluer les besoins et le soutien est là pour que tout le monde y trouve son compte ».
Les copropriétaires d’Inspection Immotech, n’hésiteraient pas un instant à refaire le même choix : « Julie apporte beaucoup à notre équipe. Au-delà de ses compétences, elle nous a permis à tous de nous ouvrir, de développer notre créativité à trouver des solutions, parce qu’elle, elle doit être constamment créative pour tirer le meilleur de sa situation. Elle est une source d’inspiration pour tout le monde et c’est très motivant. »
« Mon employeur est un visionnaire et mes collègues de travail ont su aller au-delà des préjugés! Les personnes handicapées ont tellement à apporter, comme toutes les autres d’ailleurs! » insiste Julie. « Il faut que les employeurs profitent du soutien que peuvent leur apporter des organismes comme ceux qui m’ont aidé, pour voir à quel point les personnes handicapées peuvent, elles aussi, répondre à leurs besoins de main-d’œuvre! » Aujourd’hui, Julie est fière d’avoir persévéré : « Non seulement j’ai maintenant la chance de me réaliser professionnellement, mais je peux aussi désormais me sentir davantage intégrée socialement. Même si un salaire c’est important, le travail, c’est beaucoup plus que ça : c’est une reconnaissance. »
Au Québec, près de 500 000 personnes vivent avec une maladie orpheline[1].
[1] Source : Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO).