Ce texte a été publié une première fois sur le site Orientaction.ca.
Nous avons beaucoup entendu parler de pénurie de main-d’œuvre ces dernières années et nous risquons d’en entendre encore beaucoup parler. Le discours le plus fréquent fait état des conséquences néfastes pour les entreprises (ex.: efforts de réorganisation, frein au développement, fermeture) ainsi que pour leurs employés (ex.: charge de travail).
Pour les chercheurs d’emploi, au contraire, le portrait semblerait plus reluisant, le marché étant davantage en leur faveur. Certains profiteront de cette opportunité pour gravir des échelons, négocier des avantages, qui sait, bénéficier d’augmentations salariales, etc. Pour ceux qui éprouveraient des besoins de soutien dans leur processus d’intégration, toutefois, il pourrait y avoir un revers à l’abondance d’emplois disponibles. D’ici quelques années, nous pourrions constater qu’une embauche facilitée dans un contexte d’urgence aura peut-être fait en sorte que ces derniers, tout comme les employeurs, n’auront pas bénéficié de l’accès au soutien dont ils auraient eu besoin pour favoriser leur intégration durable, avec pour résultat, l’échec, ou pire, les échecs à répétition.
Par exemple, Pierre se présente à une entrevue d’embauche. Depuis plusieurs années, il se prépare à entrer sur le marché du travail. Il est dûment formé et se passionne pour le métier vers lequel ses études le mènent. Mais il anticipe ce moment : Pierre vit avec un trouble de la personnalité limite. Il est facilement anxieux. En emploi, il aurait besoin d’un horaire adapté lui permettant de prendre du recul à l’occasion pour gérer cet aspect de sa condition. Son état pourrait également faire en sorte qu’il vive des périodes moins productives que d’autres. Mais tout cela il ne le sait pas. Car tout va très vite. C’est l’employeur qui est venu le chercher sur les bancs d’école. Pierre lui parle de sa condition. L’employeur, de son côté, n’a recruté qu’une seule candidature pour le poste. Pierre est qualifié. Il ne sait pas non plus quels besoins peut avoir une personne vivant avec un problème de santé mentale. Mais il a entendu beaucoup de messages de sensibilisation sur l’embauche de personnes en situation de handicap. Il embauche Pierre et l’avise qu’il doit être rapidement fonctionnel dans son poste, car le temps presse!
Six mois plus tard, c’est le congédiement. Pierre revivra ce processus plusieurs fois, car il réussit toujours à décrocher les emplois convoités… mais pas à les conserver. L’employeur, lui, jurera de ne plus embaucher de personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale. Les campagnes de sensibilisation, finies pour lui!
Si les employeurs ont gagné à être sensibilisés à l’embauche de personnes dites éloignées du marché du travail, par exemple en raison d’une situation de handicap, il n’en demeure pas moins qu’au-delà de l’embauche, il y a le maintien en emploi. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, qui plus est, le maintien durable en emploi est un enjeu tout aussi crucial que l’embauche.
Dans ce cas-ci, le chercheur d’emploi n’était pas prêt à intégrer un emploi. Et l’employeur n’était pas non plus prêt à l’accueillir. Le manque d’information aura malheureusement empêché la concrétisation de ce qui aurait pu être une collaboration durable et fructueuse. La facilité à se faire embaucher, pour Pierre, et le manque de temps, pour l’employeur, auront fait en sorte que ni l’un ni l’autre n’auront eu l’opportunité d’avoir accès à cette information.
Il importe de poursuivre, autant auprès des employeurs que des chercheurs d’emploi, les actions de sensibilisation au sujet de l’intégration durable en emploi et de faire connaître les services et le soutien qui peuvent être offerts, car les conséquences peuvent être importantes, tant d’un point de vue financier qu’humain.
Après quelques années à essuyer les échecs, Pierre a entendu parler d’un service de soutien à l’emploi près de chez lui. Armé de tout son courage, d’une trousse d’outils adaptés à sa situation et d’un accompagnateur pour guider l’employeur dans l’adaptation d’un poste, il en est arrivé à surmonter son sentiment d’échec pour aller cogner à la porte de l’emploi, désirant toujours s’y investir durablement. Et devinez qui a ouvert? Son tout premier employeur, qui avait particulièrement apprécié la qualité de son travail, mais qui se sentait démuni en termes de temps et d’énergie pour surmonter les obstacles avec Pierre. L’accompagnateur a fait tomber ces barrières. N’eût-été ce dernier, l’employeur ne serait pas revenu sur sa position. Pierre a pu poser ses valises.
Une collaboration de Caroline Pouliot, coordonnatrice aux communications, SPHERE.