Dans mon dernier texte, Biais cognitifs et accompagnement, je vous parlais du biais cognitif et de ses avantages en ce qui a trait à la rapidité de se faire un portrait d’une situation, mais aussi de ses désavantages comme celui de poser des actions à partir d’expériences antérieures, de suppositions ou de stéréotypes. Ce qui m’amène maintenant à aborder la notion de normalité en lien avec le handicap.

Normal ou anormal?

Selon Larousse, l’adjectif « normal » se définit entre autres comme ce « qui est conforme au plus habituel ». Par exemple, lorsque l’on annonce qu’il fera plus chaud le lendemain que la normale saisonnière, il s’agit une comparaison entre la température d’une journée ciblée et la moyenne des températures de cette saison, au fil des années. Ici, même si une référence est faite à une normale saisonnière, la température d’une journée ciblée ne peut en réalité être considérée comme anormale par rapport à celle-ci, puisqu’il s’agit d’une moyenne, composée de journées entre lesquelles la température fluctue.

La normalité est également une valeur subjective basée sur des concepts pouvant être interprétés de diverses façons, telle que la référence à ce qui est considéré comme une norme ou encore à l’observation d’éléments répétitifs. C’est dans tous les cas à partir d’une vue d’ensemble (d’un tout homogène, en ne considérant pas les parties individuellement) que se crée la notion ou l’impression de normalité.

L’établissement d’un concept de « normalité » repose donc, paradoxalement, sur des calculs se basant sur l’amalgame des différences. Peu importe le tout, lorsqu’on y regarde de plus près, celui-ci est donc invariablement composé d’une myriade de composantes uniques, parfois extrêmement différentes les unes des autres. Chaque composante vivant elle-même sa propre normalité.

Normalité et intervention en employabilité

En tant que professionnel en employabilité auprès des personnes en situation de handicap, il importe de se questionner sur la perception de la normalité qui peut être présente dans notre propre réseau, chez les employeurs et chez nos clients. L’objectif est de comprendre les réactions engendrées par cette perception, afin de mieux cerner les éléments qui influencent nos relations. Cela peut permettre de maximiser les effets positifs de l’accompagnement et d’éviter que les parties prenantes ne se sentent jugées et incomprises.

Dans notre démarche avec une clientèle en situation de handicap, il est important de comprendre le parcours de la personne afin d’avoir un portrait de ses expériences, de ses succès, de ses échecs, de son réseau et, bien sûr, de sa situation en ce qui a trait à son handicap. Une bonne compréhension de l’ensemble du parcours permet de mieux situer la façon dont la personne se perçoit dans son développement de carrière et d’identifier avec elle ses besoins. Aborder la situation de handicap est essentiel, mais ce sont les forces, les connaissances et les compétences du client qui doivent être centrales à la démarche[i].

Pour être à l’aise dans cette approche, le professionnel peut, dans un premier temps, se préparer à se poser et à poser les bonnes questions, en améliorant et en étant à jour dans ses connaissances sur le handicap. Il peut aussi développer son réseau professionnel afin d’échanger davantage sur le sujet et aller encore plus loin dans sa compréhension mais, aussi, afin d’avoir une meilleure connaissance des services disponibles et une meilleure compréhension du marché du travail.

Après tout, selon Statistique Canada, 22 % de la population vit avec au moins une incapacité en raison d’un état ou d’un problème de santé à long terme[ii]. Nous pourrions dire que c’est presque une norme de connaître quelqu’un vivant avec une incapacité et que votre prochain client pourrait avoir une incapacité visible ou non.

La question des normes sociales peut être une difficulté pour le développement de la main-d’œuvre, mais n’oublions pas que la diversité, dans un tout, reste une richesse pour la collectivité. C’est à nous tous de mieux comprendre que notre environnement est hétérogène, en étant sensible à notre comportement et aux individus qui nous entourent.

« I’ve never really ever met a normal person » – Normal Person (Reflektor) – Arcade Fire[iii]

Une collaboration d’Étienne Légaré, trésorier de l’Association québécoise des professionnels du développement de carrière
 
[i] Sajma Aravind, Gideon Arulmani. 2019. “Practice Points for The Cultural Preparation Process Model: Working with Students with Dyslexia.” In Career Theories and Models at Work: Ideas for Practice, Nancy Arthur, Roberta Neault, Mary McMahon, 484. Toronto: CERIC.

[ii] Government of Canada, Statistics Canada. 2018. “New Data on Disability in Canada, 2017.” November 28, 2018. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2018035-eng.htm

[iii] Arcade Fire. 2013. Normal Person. Vol. Reflektor. Montreal: Sonovox, Merge.